58.
Un Père comblé
Tandis que Kevin et Sage emmenaient Nogait dans l’aile des Chevaliers pour qu’il se prépare, Kira tint compagnie à Amayelle. Wellan en profita pour faire visiter la forteresse aux Elfes. Hamil enregistra tous les menus détails des installations de pierre en se demandant comment les hommes arrivaient à survivre aussi loin de la forêt. Les trois visiteurs se retirèrent ensuite dans le hall du roi pour conférer entre eux. Les jeunes gens s’opposaient à ce que leur princesse épouse Nogait d’après les coutumes des humains. Cependant, Hamil savait bien que sa fille n’accepterait jamais de retourner dans son pays pour procéder à cette cérémonie selon les rites elfiques.
Après avoir fait sa toilette et enfilé ses vêtements d’apparat, Wellan alla consulter à la bibliothèque des livres sur la diplomatie. Il marcha le long des rayons en réfléchissant aux activités des derniers jours. Tous ces plaisirs grandement mérités ne devaient surtout pas lui faire oublier les plans de conquête d’Amecareth.
Le soleil commençait à descendre dans le ciel lorsqu’il ressentit l’approche de ses compagnons épuisés. Falcon avait dû leur annoncer la bonne nouvelle, puisque Jasson et Bergeau chevauchaient parmi eux avec leurs familles. Le grand Chevalier s’approcha de la fenêtre et vit entrer les cavaliers dans la cour. Le petit Lassa était assis avec Bridgess sur son cheval… Effrayé de ne pas voir Jenifael avec elle, Wellan lança tous ses sens à sa recherche. Il la trouva endormie dans les bras de Santo. Son frère guérisseur arrêta sa monture près des enclos et se glissa souplement sur le sol en gardant la petite contre lui. Le grand chef sut tout de suite que s’il devait lui arriver malheur sur le champ de bataille, Jenifael bénéficierait de la protection du meilleur père qui soit.
Wellan fit ensuite une pause à la chapelle du château. Il prit place devant la magnifique statue rouge de la déesse de Rubis pour la remercier de tous les bienfaits qu’il avait reçus durant sa vie. Quelqu’un s’assit alors doucement près de lui. Il tourna vivement la tête et rencontra les yeux bleus de son fils.
— Elle accepte vos remerciements, lui apprit Dylan.
Wellan serra le petit Immortel avec joie. Même s’il grandissait rapidement d’une apparition à l’autre, il semblait ne jamais prendre de poids et il était toujours aussi léger qu’une plume.
— On dirait bien que tu es souvent avec Theandras, s’amusa le père.
— C’est elle qui m’enseigne à maîtriser le feu, mais elle passe plus de temps à parler de vous qu’à me montrer ce que je dois savoir.
La moquerie dans la voix de Dylan réchauffa le cœur du grand Chevalier. « Il change, remarqua-t-il, il laisse progressivement l’enfance derrière lui. Bientôt il sera un adolescent, puis un homme. Ces demi-dieux grandissent-ils au même rythme que les humains ? »
— Je n’en sais rien, père. Tous les Immortels que je connais sont déjà grands.
— Alors, nous verrons bien.
Ils entendirent gronder le tonnerre au loin. Dylan fit de son mieux pour cacher son inquiétude. Il se pendit à son cou et l’embrassa sur la joue.
— Elle veut aussi que vous sachiez qu’il se trame un complot dans son monde et qu’elle fera bientôt appel à vous.
— Je suis son serviteur, assura Wellan, même s’il ne voyait pas comment il pourrait intervenir dans les affaires divines.
— Je dois partir maintenant, mais je reviendrai vous en dire plus long. Je vous aime, père.
— Pas autant que moi.
Un nuage immaculé et zébré d’éclairs fulgurants se matérialisa au milieu de la chapelle. Des bras lumineux se saisirent de l’enfant. Puis, tout disparut sans laisser de trace.
« De quel genre de conspiration peut-il s’agir ? » s’inquiéta Wellan. Il apprendrait sans doute la suite à la prochaine visite de Dylan. Il ignorait que l’enfant de lumière avait mis sa vie en péril pour lui porter ce message secret.
Une petite créature entra alors en rampant sur le plancher brillant du temple en poussant des cris de plaisir.
— Jenifael ? s’étonna Wellan en pivotant sur ses fesses.
Le bébé, nu comme un ver, trottinait allègrement vers lui, à quatre pattes. Wellan fut stupéfait de la voir arriver ainsi toute seule.
— Jeni ! cria Bridgess dans le couloir.
La femme Chevalier fit irruption dans la pièce éclairée par un millier de chandelles au moment où la petite atteignait enfin les longues jambes repliées de son père.
— Depuis quand se promène-t-elle comme ça ? demanda Wellan en la prenant dans ses bras.
— Depuis cet après-midi. Liam lui en a fait la démonstration, répondit Bridgess, qui avait enfilé une tunique en vitesse par-dessus son corps trempé. Elle dormait lorsque je l’ai déposée sur son drap de bain il y a à peine dix minutes. Le temps de me retourner, elle n’était plus là.
Bridgess s’assit devant eux, ses cheveux blonds laissant échapper de grosses gouttes sur le plancher de marbre. Wellan contempla son visage inquiet et les formes de son corps à travers ses vêtements mouillés en pensant qu’elle était la plus belle femme du monde. Jenifael tira sur les cheveux de son père pour ramener son attention sur elle.
— J’ai une rivale, on dirait, dit Bridgess en riant, maintenant rassurée d’avoir retrouvé le bébé. Allez, mademoiselle, ce sera bientôt l’heure du mariage de ton oncle Nogait et tu n’es pas encore prête.
Bridgess voulut la prendre, mais l’enfant protesta en s’accrochant à la cuirasse de son père. Wellan décida donc de la porter lui-même jusqu’à leur chambre.
— Je suis vraiment un père comblé, déclara-t-il à son épouse en déposant l’enfant sur le lit.
— Cela me fait plaisir de te l’entendre dire, avoua Bridgess, émue.
Ils s’embrassèrent tendrement, à quelques pas de la petite qui les observait avec intérêt. Elle se mit à geindre en marchant à quatre pattes jusqu’à ses parents.
— Tu veux choisir sa robe pour la cérémonie ? murmura Bridgess dans l’oreille de son époux.
Jenifael fut plus rapide qu’eux. D’un mouvement de sa petite main potelée, elle décrocha magiquement une belle robe rouge de son crochet sur le mur. Elle la fit voler jusqu’à Wellan qui la reçut en plein visage.
— Jeni, que t’ai-je dit au sujet de la magie ? lui reprocha son père en s’accroupissant devant elle.
Jenifael éclata de rire et le grand Chevalier comprit qu’elle le tenait désormais en son pouvoir. Il habilla l’enfant selon ses désirs, puis la petite famille rejoignit les autres soldats dans la salle d’audience.